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La conciliation entre le rôle de soutien à une personne vivant avec un trouble de santé mentale et celui de travailleuse ou travailleur

  • 13 min

Les proches font face à des difficultés supplémentaires au travail. Découvrez des solutions pour mieux concilier vie professionnelle et responsabilités de proches.

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Au Québec, de nombreux travailleurs et travailleuses soutiennent un fils, une fille, un parent, un conjoint, etc. vivant avec un trouble de santé mentale. Entre tabous, surcharge et isolement, ce rôle souvent invisible pèse lourdement sur leur vie professionnelle… et sur la productivité des entreprises.

Absentéisme, présentéisme, surcharge mentale, baisse de performance, épuisement professionnel : les répercussions sont bien réelles, et derrière ces réalités se cachent plusieurs visages.

  • Un gestionnaire de PME dont la conjointe vit avec un trouble bipolaire.
  • Une ouvrière d’usine qui compose avec le premier épisode psychotique de son fils de 16 ans.
  • Un travailleur de la construction préoccupé par l’anxiété que vit sa fille.

Selon un sondage mené par CAP santé mentale, 82 % des proches en emploi trouvent difficile de concilier leurs responsabilités professionnelles avec leur rôle de soutien, et 54 % affirment que cette réalité a un impact direct sur leur parcours professionnel.

Dans les prochains paragraphes, vous découvrirez quelques résultats de ce sondage, les principales contraintes vécues par les proches, l’importance de la divulgation pour obtenir du soutien en milieu de travail, ainsi que des facteurs de protection pour mieux atteindre un équilibre entre ces deux rôles.

Visuallys / Myriam Bourbeau

Entre travail et accompagnement d’une personne vivant avec un trouble de santé mentale : les réalités révélées

Ce sondage, réalisé auprès de 150 proches ayant un travail ou étant aux études1 et qui offrent un soutien à un des leurs vivant avec un TSM, a mis en relief plusieurs constats et préoccupations.

  • Une large proportion souligne que ce rôle n’est pas reconnu à sa juste valeur dans la société, qu’il est une source de stress importante.
  • Elles2 ont l’impression par ailleurs que ce travail est invisibilisé et que les milieux de travail devraient mieux les soutenir. Seulement 18 % d’entre elles perçoivent que le rôle des proches est bien ou très bien reconnu dans les milieux de travail qu’elles fréquentent.
  • Près de 85 % considèrent que les milieux de travail au Québec ne sont pas du tout outillés ou très peu outillés pour soutenir les proches.

Dans le tableau qui suit, nous soulignons les principaux impacts que les personnes ayant répondu à ce sondage ont vécus au travail. Ces impacts sont divisés selon qu’ils constituent une contrainte objective (perturbations observables reliées au travail ou des événements empêchant les personnes à rester sur le marché du travail) ou subjective (des sentiments intériorisés de tristesse, d’inquiétude, etc. ou extériorisés comme de la colère, du ressentiment ou de l’embarras) d’après les définitions retenues par Brannan et ses collègues (2022).3

Contrainte objective Contrainte subjective
Absences répétitives ou prolongées Sentiment de culpabilité
Baisse de performance ou de productivité Surcharge mentale ou émotionnelle
Devoir diminuer le nombre d’heures au travail Épuisement professionnel
Présentéisme (être présente au travail, mais dans un état ne permettant pas d’être pleinement productive)
Perte financière

Par ailleurs, des défis sont perçus dans le milieu de travail concernant leur rôle de soutien dont voici les principaux :

  • gestion des appels et des rendez-vous pendant les heures de travail;
  • devoir faire face à un manque de reconnaissance ou de soutien adapté;
  • le fait que les troubles de santé mentale soient l’objet de préjugés et de tabous.

Selon les répondantes, certaines mesures sont déjà présentes pour les accommoder dans leur milieu de travail. Dans le tableau qui suit, nous rapportons ici ces mesures, des plus souvent offertes à celles qui le sont très peu.

Beaucoup Moyennement Très peu
Accès à des services de soutien psychologique* Adoption d’une culture organisationnelle orientée vers la santé mentale positive Accès à des outils numériques spécifiques pour les proches
Horaires flexibles (banque d’heures, libération pour accompagner un être cher, etc.) Sensibilisation du personnel et des gestionnaires à la réalité des proches Formation des gestionnaires à devenir des vigies du mieux-être personnel des employés et de leur environnement familial
Possibilité de faire du télétravail de façon partielle ou totale Libération sur le temps de travail, sans perte de salaire, pour suivre des formations spécifiques et reconnus pour les proches
Reconnaissance officielle du rôle de proches accompagnant une personne vivant avec un TSM dans les politiques internes

*Il est à noter que la majorité des établissements offrent ce type de soutien à leurs employés, peu importe leur statut.

Dans une vaste étude populationnelle réalisée en Australie comparant des personnes occupant un rôle de soutien à celles ne jouant pas ce rôle, on a fait ressortir qu’un nombre significativement plus important de proches en santé mentale n'étaient pas employés, étaient plus susceptibles de travailler moins de 16 heures par semaine et dans des professions moins qualifiées que celles ne jouant pas ce rôle. Certaines avaient réduit leurs heures de travail pour s'occuper de leur être cher et certaines avaient complètement cessé de travailler4.

Les facteurs contribuant à une perception de contraintes liées à la conciliation travail/famille

Dans la récente recension de l’organisme Concilivi5 dont la mission est de soutenir les employeurs dans le but d’implanter des mesures de conciliation adaptées à la réalité du travail pour les employés devant composer avec la conciliation travail/famille publiée sur ce sujet, on mentionne que les personnes offrant leur soutien à un des leurs ayant un TSM ont 1,9 fois plus de risque de se sentir débordées par rapport aux autres types de personnes aidées (parents vieillissants, etc.).

Dans leur recension, Concivili mentionne que les personnes qui se sentent débordées par ce soutien, vivent des conflits travail/famille plus importants qui parfois leur fera faire des choix professionnels déchirants. Mais ce groupe offrirait un soutien plus élevé par semaine, c’est-à-dire plus de 11 heures. On note également qu’offrir son soutien à une personne vivant en logement supervisé, si on le compare au soutien offert à une personne vivant avec soi, représente un risque de 1,9 fois plus élevé de réduire ses heures de travail.

Visuallys / Tamara Marcia Martel

Une étude réalisée au Japon a montré également que les proches d’une personne vivant avec un TSM, plus particulièrement un trouble schizophrénique ou un trouble dépressif, avaient une qualité de vie liée à la santé et une productivité au travail inférieures à celles des proches soutenant une personne vivant avec la maladie d'Alzheimer (ou une autre forme de démence) ou ayant subi un accident vasculaire cérébral (AVC)6. Si on les compare uniquement aux proches soutenant une personne ayant subi un AVC, les proches d’une personne vivant avec la schizophrénie ont rapporté plus de présentéisme au travail. Par ailleurs ces proches ont recouru à significativement plus de visites chez le médecin au cours des six mois précédent l’étude, toujours en comparaison avec les proches d’une personne ayant subi un AVC.

Ces résultats sont probablement liés au fait que le soutien aux personnes vivant avec un TSM tend à être plus imprévisible et axé sur le soutien émotionnel et la gestion de crise, la supervision de comportements et implique souvent des fluctuations inattendues des besoins de soutien liées à la nature épisodique des troubles mentaux, ainsi que des quantités significatives de temps passé en « attente » en cas de crise que celui offert aux personnes ayant des incapacités d’ordre physique ou neurologique7,8.

L’importance de la divulgation de son rôle de soutien

Bainbridge et Townsend (2020)9 ont étudié plus particulièrement la contribution de la divulgation sur la disponibilité, l’utilisation et l’utilité perçues du travail flexible dans les organisations pour les personnes offrant leur soutien à un des leurs vivant avec un TSM ou d’autres types de conditions (autisme, perte d’autonomie, démence, etc.). Pour ce faire ils ont interrogé 600 de ces personnes travaillant en moyenne 28 heures par semaine, âgées entre 16 et 73 ans et dont 90 % avaient la responsabilité principale de ce soutien; la très grande majorité pour un membre de la famille (49% un fils ou une fille, 18 % un partenaire, 24 % un parent ou un beau-parent ou d’autres membres de la parenté ou des amis, 9 %). 

Selon ces chercheurs, la divulgation conduit à une plus grande utilisation des pratiques de travail flexible.

En effet, si le superviseur est au courant de ce rôle de soutien, ce sera plus facile pour l’employé de gérer les exigences professionnelles et familiales en ayant recours à ces pratiques (heures de début/fin flexibles, capacité à quitter le travail avec un court préavis en cas d'urgence, heures de travail réduites, partage de poste et télétravail). Ils notent également que la divulgation aux collègues de travail permet d’échanger des informations sur les critères d’éligibilité pour recourir à ces pratiques ainsi que les avantages de les utiliser.

Ils ont également fait ressortir que la divulgation peut donner accès à d’autres formes de soutien que les mesures du travail flexible (par exemple, un soutien social et émotionnel, des suggestions sur le soutien offert, etc.). Il est par ailleurs possible que des employés aient accès à ces mesures sans nécessairement divulguer leur rôle de soutien. Mais ces chercheurs mettent l’accent sur les bénéfices de la divulgation pour plusieurs raisons.

  • Elle est un préalable important pour accéder aux mesures de flexibilité au travail.
  • Ces mesures aident à composer avec le double rôle associé au soutien à une personne vivant avec des incapacités et au travail.
  • Elle est associée à une amélioration de la perception de soutien au travail.
Visuallys / Équipe Visuallys IA Hiver-Printemps 2023 avec Midjourney

Mais il ne faut surtout pas nier qu’en l’absence de politiques formelles, la divulgation de ses responsabilités de soutien à un superviseur met un poids énorme sur les épaules des proches, ce qui pourrait contribuer à la stigmatisation au travail pour ces proches, car dans cette perspective, les mesures d’aménagement résident dans la discrétion bienveillante des superviseurs10.

Ces deux chercheuses ont réalisé une étude auprès de 122 gestionnaires d’organisations travaillant dans des petites et moyennes entreprises (PME), dans les secteurs privé et public ainsi que dans des organismes à but non lucratif (OBNL). Elles ont fait ressortir, concernant les aménagements de travail flexible, probablement la plus importante mesure pour les personnes soutien, que :

« Bien que la plupart des entreprises (89 %) aient proposé au moins un type de flexibilité au travail, et que de nombreux participants (86 %) croient que la flexibilité et le soutien présents sur le lieu de travail étaient adéquats pour les employés ayant une grande variété de responsabilités familiales, seulement une minorité (22 %) a indiqué que leur organisation avait mis en œuvre des options de flexibilité spécifiquement conçues pour les aidants. De plus, des arrangements de travail flexibles n'étaient accessibles que sous certaines conditions. Dans l'ensemble, 34 % des organisations permettaient à tous ou à la plupart des employés (incluant donc a priori les aidants) de modifier leurs horaires de travail quotidiens dans un certain délai. […] Environ la moitié (48 %) des organisations à but non lucratif permettaient à tous ou à la plupart des employés de le faire, ce qui était plus que dans les secteurs privé (38 %) et public (24 %). C'était également plus courant parmi les entreprises employant une majorité de femmes (47 % contre 20 %) » (p. 526)

Visuallys / Léane Klinkow

Ces auteures ont constaté, chez les gestionnaires, une augmentation de la reconnaissance des responsabilités des employés en matière de soutien aux adultes et aux personnes aînées en perte d’autonomie comme étant une priorité élevée comparativement à une étude antérieure qu’elles avaient réalisée (18 % contre 3 % en 2013), tout en étant systématiquement perçues comme moins importantes que les soins aux enfants ou encore les besoins d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée.

Si vous envisagez d’aborder votre rôle de soutien à une personne vivant avec un trouble de santé mentale dans votre milieu de travail, il peut être utile de prendre un moment pour cibler vos besoins et réfléchir aux éléments à partager. Plusieurs aspects peuvent être comblés par un employeur bienveillant : la reconnaissance de votre rôle, la souplesse dans les horaires ou le télétravail, des espaces de dialogue sécuritaires pour exprimer votre réalité sans jugement, et un accès à l’information et aux ressources internes ou externes.

Avant de vous lancer, prenez le temps de considérer :

  • quels défis vous rencontrez et ce qui est prioritaire pour vous;
  • quelles politiques ou ressources existent déjà dans votre organisation ou ailleurs;
  • ce que vous êtes prêt à dévoiler à votre superviseur et à vos collègues, et vos attentes à ce sujet;
  • vos craintes ou obstacles liés à la divulgation;
  • ce que vous pourriez faire pour contribuer au changement de culture organisationnelle;
  • et enfin, quelles mesures prendre si vous vous sentez dépassé ou au bout du rouleau.

Réfléchir à ces éléments au préalable peut vous aider à présenter vos besoins de manière claire et à maximiser les chances de bénéficier de mesures de flexibilité ou de soutien, tout en préservant votre bien-être et votre équilibre entre travail et soutien à votre être cher.

Les facteurs de protection pour atteindre un équilibre

Il va sans dire que le facteur de protection le plus important pour atteindre cet équilibre est bien entendu le fait que des milieux de travail mettent en place des mesures formelles de soutien disponibles et accessibles pour la conciliation entre ces deux rôles. Dans l’étude de Nogues et Tremblay (2023), une grande proportion de gestionnaires ont indiqué que la raison la plus importante pour les soutenir était de retenir les employés qui sont appréciés par l’organisation.

Dans cette optique, la divulgation nous apparait capitale, car plus les employeurs seront au fait des responsabilités qui incombent aux proches qui soutiennent un des leurs vivant avec un TSM, plus ces employeurs seront sensibilisés à cette réalité et plus leur volonté de mettre en place des politiques formelles augmentera. 

La recension de Concilivi a mis en relief d’autres facteurs de protection pour favoriser un équilibre entre son rôle de soutien et le travail.

  • La responsabilité du soutien est partagée.
  • Le travail pour certaines est perçu comme une source de répit et leur permet de briser l’isolement.
  • Le travail leur fait profiter d’une source de valorisation.
  • Mais ces personnes ont pour la plupart informé leur employeur et leurs collègues de leur rôle.

Donc nous n’insisterons jamais assez sur cela, celles qui informent leur employeur de leur rôle de soutien, pourront obtenir plus facilement des aménagements. Par exemple pour quitter son travail quelques heures en cas de crise ou encore de bénéficier d’un lieu discret pour loger un appel téléphonique aux services de santé mentale, et ce, dans le cas où des mesures formelles de conciliation ne seraient pas encore introduites dans leur milieu de travail.

Nous avons fait ressortir dans ce texte les contraintes qu’exige le fait de concilier les obligations reliées à un travail à celles exigées par le soutien d’un être cher. Heureusement la société québécoise tend à reconnaitre de plus en plus le rôle de personne soutien entre autres par sa politique nationale pour les personnes proches aidantes11. Mais sur le plan de la conciliation travail/soutien il reste à implanter de manière plus formelle et généralisée des mesures concrètes qui seraient disponibles et accessibles pour faciliter ce double rôle. L’organisme Concilivi dont c’est la mission y travaille ainsi que CAP santé mentale, car les coûts émotionnels et financiers reliés à ce double rôle exercent une influence majeure sur les proches, en majorité des femmes, qui soutiennent un des leurs vivant avec un TSM.

Soutenir les proches en santé mentale représente un investissement gagnant-gagnant pour les employeurs et les employés.

Parmi les bénéfices pour les organisations :

  • réduction de l’absentéisme et du présentéisme;
  • fidélisation des talents;
  • hausse de la productivité et de l’efficacité;
  • meilleure image de marque de l’employeur (responsabilité sociale).

Selon Concilivi (2023), les organisations qui intègrent des mesures de conciliation bénéficient d’un taux de rétention supérieur de 20 %.

De plus, selon le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, les entreprises du Québec recouvreraient jusqu’à 13 $ par dollar investi dans des initiatives de santé et bien-être en milieu de travail12.

Favoriser la conciliation pour les proches en santé mentale, c’est investir dans la résilience de nos milieux de travail. C’est poser un geste humain, urgent et profondément stratégique.

Pour aller plus loin dans votre réflexion et déterminer vos besoins spécifiques, nous vous invitons à remplir le formulaire d’autogestion, un outil conçu pour vous guider dans l’exploration de vos priorités et faciliter vos démarches dans votre milieu de travail.

Sources et notes

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